4 Octobre 2001

CRITIQUE. Spectacle « Ernani » de Verdi, à l'ORW

La boursouflure de l'héroïsme macho

par MICHEL DEBROCQ

Si l'œuvre a connu un franc succès lors de sa création à La Fenice de Venise en 1844, il faut bien reconnaître qu'« Ernani » est loin d'être l'un des opéras les plus joués de Verdi aujourd'hui. On soulignera donc l'originalité dont l'Opéra royal de Wallonie fait preuve commençant sa nouvelle saison avec cette œuvre (en coproduction avec l'Opéra de Montpellier).

Cela dit, « Ernani », malgré ses qualités musicales, reste quand même une œuvre de jeunesse manquant d'aboutissement dramatique. C'était la première collaboration de Verdi avec Francesco Maria Piave, de trois ans, son aîné et qui allait, par la suite, être l'un de ses principaux librettistes. Le livret d'« Ernani » souffre de cette inexpérience, c'est indéniable.

Quant à la pièce de Victor Hugo dont il est tiré, elle semble accuser le poids des ans aujourd'hui, avec son étalage d'héroïsme clinquant et son apologie macho des « vertus » viriles.

En nous offrant de l'opéra une approche théâtrale plutôt neutre quant à une quelconque prise de position par rapport à l'œuvre, Jean-Claude Auvray semble vouloir mettre surtout en évidence les conflits émotionnels qui l'habitent. Mais comme ces derniers se situent la plupart du temps au niveau des clichés les plus éculés, on reste assez frustré.

Ce n'est pas le contraste voulu entre la richesse des costumes d'époque (Chiara Donato) et le dépouillement du décor de Rudy Sabounghi (superbes éclairages de Laurent Castaingt) qui suffit à insuffler vie et intensité à la réalisation scénique. Vanessa Gray a certainement été autrement inspirée, dans sa carrière, que dans la chorégraphie qu'elle signe ici pour les chœurs.

Du point de vue musical, heureusement, le spectacle offre un tout autre intérêt. Alain Guingal dirige la partition avec fougue et précision, mettant remarquablement en évidence tout ce que le rythme dramatique de Verdi a d'inimitable dans sa concision, en soulignant le lyrisme avec une souplesse qui est tout au service du chant. Il entraîne dans son sillage un orchestre et des chœurs de l'ORW manifestement conquis.

La distribution soliste est source de nombreux plaisirs, avec un trio masculin de très haut niveau. Zwetan Michailov est un Ernani enflammé, doté d'un timbre qui ne manque pas de vaillance; Eduard Tumagian incarne un Don Carlo intelligemment construit tant au niveau scénique que musical (son monologue, au début du troisième acte, est l'un des moments forts de la soirée); Paata Burchuladze donne à Don Silva la noirceur et l'ampleur de sa voix de bronze. Dans le rôle d'Elvira, Barbara Haveman parvient une fois encore à nous convaincre de son talent d'actrice et de cantatrice... avec un personnage qui passe le plus clair de son temps à supplier des hommes qui n'ont que faire de ses sentiments.

Le soir même de ses noces, son époux, le fringant Ernani, ne trouve rien de mieux à faire que de se suicider en vertu d'un stupide pacte d'« honneur ». Les femmes en ont décidément vu de toutes les couleurs à l'opéra.

« Ernani », Théâtre royal de Liège, jusqu'au 16 octobre.
Tél. : 04-221.47.20.
En direct sur Musique 3 le 13 octobre à 20 heures.

Copyright © Le Soir 2001

 

Octobre 2001

«Ernani» de Verdi à Liège

par Camille de Rijck

L'Opéra Royal de Wallonie a décidé cette saison d'explorer quelques chefs d'oeuvres du belcanto romantique, ainsi on retrouvera outre cet Ernani, une Sonnambula en version de concert et des Puritains dirigés par l'extraordinaire Giuliano Carella. Cette politique quelque peu conservatrice (très peu d'opéras modernes, pas de musique ancienne) trouve sa justification dans un paysage lyrique belge essentiellement tourné vers la modernité. Sans cracher sur les saisons du Théâtre Royal de la Monnaie et du Vlaamse Opera qui tous deux font des miracles avec des budgets relativement étroits, ce que nous offre l'Opéra Royal de Wallonie est non seulement rafraîchissant mais permet à un certain public de se familiariser avec des musiques fabuleuses. Ainsi l'Ernani de Giuseppe Verdi, qu'on a rarement le plaisir d'entendre, est sans aucun doute l'aboutissement heureux d'une tradition belcantiste dont Verdi lui-même allait exploser les limites. C'est également la première collaboration (indirecte) entre Verdi et Victor Hugo.

Le drame de Victor Hugo reprend absolument tous les oukases du genre, à savoir : un homme amoureux d'une Dame bien comme il faut, un amant jaloux (là en l'occurrence, on nous en offre deux) et vengeur (s'il est vieux et laid c'est encore mieux) et une fin terriblement dramatique et poignante. Ainsi on se souvient de Triboulet découvrant que c'est sa fille qu'il a envoyé dans l'au-delà, de Lucrèce Borgia qui empoisonne son propre fils et de Marie Tudor envoyant, par étourderie, son amant au supplice!

Dans Ernani, un jeune brigand tombe amoureux d'Elvira qui éveille déjà les passions de deux redoutables grands d'Espagne : le vieux Silva, légèrement cacochyme et Don Carlo, rien de moins que le Roi qui - au cours de l'intrigue - deviendra Charles Quint ! Evidemment tout ce petit monde s'empoigne, se maudit, s'éperd en de poignants discours et finit par se tuer (enfin, c'est uniquement le cas d'Ernani). Drame sanglant, certes, qui manipule avec assez peu de finesse les passions les plus furieuses de l'âme humaine, mais qui introduit un élément relativement rare dans la dramaturgie de l'époque : le pardon. En effet Don Carlo, apprenant qu'il est empereur, décide de se consacrer entièrement à sa fonction et laisse Ernani lui chiper la belle.

La distribution réunie par l'Opéra Royal de Wallonie est très nettement dominée par les deux voix graves, à commencer par un Paata Burchuladze qui n'a rien perdu de sa superbe depuis son enregistrement studio avec Bonynge en 1984. Eduard Tumagian quant à lui est un magnifique baryton Verdi qui par certains aspects rappelle Sherill Milnes (voix tranchante, aigus éclatants), il fait certainement partie des meilleurs Don Carlo du moment. Le couple d'amoureux (Barbara Haveman et Zwetan Michaïlov) quant à lui ne démérite pas, même si tous deux gagneraient à orner leurs cabalettes avec un peu plus d'originalité (et de précision !) ce problème mis à part, leur engagement dramatique et vocal est admirable.

Point faible de ce spectacle, la direction honteuse d'Alain Guingal qui se montre tout à fait incapable de tenir son orchestre, les vents - surtout au premier acte - sont d'une imprécision désastreuse et les pizzicati du prélude sont noyés dans un nuage orchestral excessivement terne. Ajoutons à cela un sens inné de la coupure (les cabalettes, par exemple, sont systématiquement amputées de leurs da capi) qui à l'heure actuelle relève d'un amateurisme navrant.

La mise en scène, sobre et classique de Jean-Claude Auvray souligne l'action avec bon goût, tout juste reprochera-t-on à Chiara Donato d'avoir emballé les choeurs du dernier acte dans des costumes qui rappellent curieusement les bonbons quality street.

En somme, c'est un spectacle rare et très agréable qui ouvre la saison de l'Opéra Royal de Wallonie, saison qu'on espère d'un égal niveau!

 


4 Octobre 2001

OPERA

Ernani dans une maison de poupées
Ernani dans une maison de poupées Lueur d'originalité dans l'année Verdi: l'ORW propose «Ernani», un opéra de jeunesse évidemment inspiré de la pièce de Victor Hugo. Occasion d'une nouvelle prise de rôle pour Barbara Haveman, une habituée des lieux

La soprano néerlandaise Barbara Haveman n'est pas une inconnue pour le public de l'ORW: on l'a déjà vue en Giulietta dans «Les contes d'Hoffmann», en Katya dans «Katya Kabanova» de Janacek, puis en Bianca de «La tragédie florentine» de Zemlinsky. Il faut dire que cette relation suivie a trouvé son origine dans le Concours de chant de Verviers, qu'elle a remporté en 1997, juste avant de gagner ensuite le Concours du Belvédère à Vienne et les «Voce verdiane» en Italie. «Je chante volontiers à Liège, non seulement pour des raisons de proximité géographique mais aussi parce qu'on m'offre d'excellentes conditions pour travailler les rôles : la possibilité qui m'est donnée ici de répéter avec un pianiste plusieurs semaines, voire plusieurs mois à l'avance, est exceptionnelle.»

VOISINE

Etablie aujourd'hui dans notre pays où elle a même vécu une partie de son enfance (humanités à Hasselt et Beringen), c'est pourtant surtout aux Pays-Bas qu'elle a eu son éducation au chant : d'abord en chantant à l'église avec ses soeurs - son père est prêtre orthodoxe, ce qui l'a très tôt initiée à la polyphonie -, puis au Conservatoire de Maestricht. D'abord mezzo, Haveman a commencé par des petits rôles à la compagnie itinérante Opera Zuid, puis a eu la chance de gagner comme prix de son premier concours des leçons auprès du grand ténor italien Carlo Bergonzi : «Cela m'a permis de me familiariser au style du bel canto italien, auquel mes études ne m'avaient pas familiarisée. Cela a été aussi le moment déterminant de ma carrière, notamment parce que c'est alors que j'ai choisi de travailler des rôles de soprano lirico spinto: je ne me sentais pas bien dans ma tessiture de soprano.» De Verdi, Haveman a déjà chanté Violetta de «La Traviata» et Amelia de «Simon Boccanegra», mais l'Elvira de «Ernani» l'a séduite : «C'est un personnage plein de fraîcheur, à la fois naïve et pétillante. Elle est pure, et plus simple dans l'expression de ses émotions: les sentiments qu'elle éprouve sont plus primaires. Cela permet alors de mieux faire ressortir la dimension de bravoure vocale. Dans la mise en scène de Jean-Claude Auvray, ce côté ressort assez bien : il place et déplace ses personnages comme un enfant le ferait dans une maison de poupées, ce qui peut par moments sembler statique mais permet justement d'exprimer les expériences émotionnelles du personnage.»

FORTE FEMME

L'Elvira telle que la conçoit la soprano néerlandaise n'est toutefois ni une oie blanche, ni un oiseau pour le chant : «C'est une femme qui se veut et est l'égale des hommes. Cela n'empêche qu'elle est utilisée comme une sorte de ballon dans le jeu entre ces trois hommes, qui la désirent et l'attaquent constamment. Elle a fait le choix d'Ernani, mais Carlo utilise ses pouvoirs diplomatiques pour la contraindre : elle est capable de répondre sur le même registre, parce qu'elle est extrêmement forte. Elle est victime des circonstances, mais est capable de faire face dans ce monde d'hommes rigide et macho.» Avant de revenir à Liège en fin de saison dans l'«Hérodiade» de Massenet puis, l'an prochain, en Fiordiligi de «Cosi fan tutte», Haveman chantera dans les prochains mois Mimi de «La Bohême», et Blanche dans la création européenne d' «A streetcar named desire», l'opéra d' André Previn d'après Tennessee Williams.

Liège, ORW, les 5, 11, 13 et 16 octobre à 20h, le 7 à 15h



Savoir plus

Sans H ni bataille

A de rares exceptions près, le centenaire de la mort de Verdi n'aura pas été marqué par la redécouverte du répertoire méconnu : beaucoup d'«Otello» et de «Falstaff», de «Rigoletto» et de «Traviata», quelques «Macbeth» et pas grand-chose d'autre. L'«Ernani» que propose l'ORW dès ce soir est dès lors bienvenu, puisque l'oeuvre est rarement jouée : bien moins connue que la pièce éponyme de Victor Hugo (mais sans le «H » initial), elle ne donna lieu à aucune bataille, et connut même un large succès lors de sa création à la Fenice de Venise en mars 1844, deux ans après le triomphe de «Nabucco».

Le livret est, il est vrai, passablement compliqué : après que son père ait été tué par le père du Roi Don Carlo (baryton), Don Juan d'Aragon prend le maquis et devient le bandit Ernani (ténor). Il aime et est aimé de Dona Elvira (soprano), mais celle-ci est fiancée à Don Ruiz da Silva (basse) et, pour ne rien arranger, également aimée du futur Charles-Quint. Ce dernier parvient un soir à rentrer dans les appartements de la belle, et veut forcer sa résistance, mais Ernani survient et le défie. C'est à ce moment qu'entre le vieux Silva...

La production liégeoise est une coproduction avec l'Opéra de Montpellier où elle fut donnée récemment: mise en scène par Jean-Claude Auvray, elle sera dirigée à Liège par Alain Guingal. La distribution comprendra des habitués de l'ORW - Zwetan Michailov en Ernani, Edouard Tumagian en Carlo - et un nouveau venu : la basse géorgienne Paata Burchuladze, qui a d'ailleurs enregistré ce rôle de Silva aux côtés de Luciano Pavarotti pour la récente version de Richard Bonynge chez Decca (2 CD 421 412).

© La Libre Belgique 2001
Mis en ligne le 04/10/2001