Le Comte Ory ou le médiévisme sauce burlesque par G. M. METZ-OPÉRA-THÉÂTRE.- Reprise de la nouvelle production messine de 1992 dans laquelle Philippe Bohée installait Le Comte Ory dans le style du théâtre bouffe traditionnel avec quelques extensions drôlatiques, la mise en scène 2002 de Jean-François Vinciguerra (qui montait à Metz en décembre dernier Les Saltimbanques en restituant l'atmosphère très particulière du théâtre forain) prend, ici, le parti du burlesque médiéval. On dirait des personnages de bandes dessinées du type chevaliers de la Table ronde à l'affût d'aventures galantes tournées en dérision. C'est cocasse. Si l'histoire du Voyage à Reims est creuse, celle du Comte Ory (qui en reprend huit des seize airs) est plus alambiquée et non moins tirée par les cheveux, mais comme elle est riche en rebondissements et en travestissements, elle permet d'en renchérir les situations piquantes, d'y glisser des regards concupiscents, de multiplier les délicieux anachronismes. Et, entre les lunettes d'approche, les parapluies multicolores, les vélos d'appartement et les machines à écrire tombant du ciel, Jean-François Vinciguerra ne se prive pas de ces gentils clins d'oeil au modernisme. On retrouve le décor d'album de conte de fées avec son imposant château-fort à tourelles, sa tour flanquante et, devant, son gros arbre feuillu, ses gerbots d'avoine et autres cartons-pâte (Arthur Aballain). On peut s'émerveiller à nouveau des costumes qui valent bien une collection haut-couturière reproduisant, non sans un brin d'exubérance, la haute époque des capes, des brocarts, des hennins, des soieries et des robes endiamantées. La distribution est au top qui chante dans l'esprit de l'opéra-bouffe français et non dans le style "buffa" à l'italienne comme dans Il Turco. Dans cette débauche de vocalises, de sauts dans l'aigu et d'arpèges ascendants, Rossini atteint le summum de l'acrobatie vocale. En 92, on avait, dans le rôle-titre, un Gilles Ragon qui était alors plus haute-contre que ténor et qui montait curieusement dans le fausset. Voici cette fois l'Athénien Mario Zeffiri, à la tessiture étendue et dont le haut de l'organe est trempé d'acier fin. Très métallique, donc, il utilise plutôt la voix de tête dans les passages en mezza-voce et celle de poitrine dans les "forte". Quand il lance ses poignards vocaux, il détonne parfois et toutes les notes ne sont pas en place. Mais il est très drôle dans son jeu de physionomie gourmande et sous ses déguisements d'ermite et de moine. La palme revient à la comtesse, la Canadienne d'origine arménienne Aline Kutan, dont la souplesse, la pureté d'organe et la virtuosité vocale font penser à celles de divas plus célèbres. Elle ira loin. Et il y a également Patricia Fernandez, d'une superbe ligne vocale et d'un jeu scénique très parlant. Dans ce rôle travesti du page Isolier, elle est quelque part ce Chérubin qui se pâme devant les femmes (elle a aussi des manières de Chantal Goya!). On ajoutera les rôles bien tenus d'Anne Pareuil en luxurieuse Ragonde, de Luca Grassi (Raimbaud) de Jacques Calatayud (gouverneur). Les choeurs (d'hommes comme de femmes et les deux ensemble) sont bien en place et leur ballet (suivi d'un cancan) des moines aux cornettes extravagantes vaut son pesant de soutanes. Il y a dix ans, Fernand Quattrocchi avait déjà fait pétiller la musique dont Giuseppe Grazioli fait cette fois monter les bulles de champagne. |
Le triomphe des Femmes par Vincent Deloge En 1828, Rossini donne à l'Académie Royale de Musique un véritable opéra comique en français, Le Comte Ory, pour lequel il puise allègrement dans la partition du Voyage à Reims, composé trois ans plus tôt pour le couronnement de Charles X. Nous ne nous en plaindrons pas puisqu'il en résulte une oeuvre des plus réjouissantes, nourrie par la verve étincelante d'un compositeur de trente-six ans qui s'apprête déjà à raccrocher les partitions. Cet ouvrage constitue de plus un excellent tremplin pour de jeunes chanteurs à la virtuosité accomplie et entre donc parfaitement dans la politique menée à Metz par Danièle Ory (!), qui consiste à offrir de nombreuses prises de rôle à de jeunes artistes prometteurs. Nous sommes dans un Moyen-Age d'opérette, avec des décors en carton-pâte volontairement naïfs et des costumes excessivement rutilants. Dans ce cadre fantaisiste, le baryton Jean-François Vinciguerra, signataire de cette reprise, joue la carte de la farce pour ce qu'il considère comme un "vaudeville moyenâgeux de troubadour en goguette". Il manie l'anachronisme avec un plaisir certain, introduisant un home-trainer dans la chambre de la Comtesse puis une batterie de machines à écrire, et parsème l'ouvrage de gags. C'est ainsi qu'au premier acte lorsque Isolier se confie au faux ermite, nous nous retrouvons dans le cabinet d'un psychanalyste avant l'heure. On notera encore des clins d'œil à l'Olympia des Contes d'Hoffmann ou à la célèbre représentation picturale de la Cène, ainsi que l'usage (et l'abus ?) de chorégraphies burlesques auxquelles se prêtent sans rechigner les solistes et les chœurs, comme ce french-cancan parodique qu'exécutent les fausses pèlerines au second acte. Le public rit mais cette agitation permanente finit parfois par lasser, à des moments où la musique se suffit à elle-même et ne réclame pas cette débauche d'effets. A ces moments, la farce a tendance parfois à devenir légèrement indigeste. On trouve heureusement davantage de subtilité dans la fosse où Giuseppe Grazioli joue du contraste et de la dynamique. Il est impossible de résister à cette direction pleine d'élan et de verve. La distribution nous apporte elle aussi son lot de satisfactions, d'autant que chacun de ces jeunes artistes se révèle un comédien investi dans son rôle. Notre seule réserve concerne le Raimbaud acceptable mais un peu fruste du baryton italien Luca Grassi (un habitué du festival de Martina Franca). Anne Pareuil est une Ragonde très amusante mais gagnerait à soigner sa diction. Dans le rôle du Gouverneur, Jacques Catalayud impose sa voix claire et sonore et vient à bout de son très difficile air du premier acte, même s'il est contraint d'escamoter quelque peu les notes les plus graves. Dans le rôle titre, le ténor grec Mario Zeffiri, entendu à Liège dans Le Voyage à Reims, fait preuve de beaucoup de vaillance et de virtuosité. Si le timbre n'est pas toujours des plus séduisants, sa prestation n'en est pas moins tout à fait digne d'éloges. La soprano canadienne Aline Kutan triomphe dans la Comtesse Adèle avec un aigu d'une grande facilité et une virtuosité sans failles, qui font oublier un timbre plus commun et une voix qui perd de sa projection dans le médium. Mais j'attribuerai sans aucune hésitation les lauriers de la soirée à l'Isolier de Patricia Fernandez. Nous avons suivi depuis quelques années la carrière de ce réel espoir du chant français, appelée à devenir une grande Carmen d'ici peu. Sa présence lumineuse, sa voix belle et homogène, bien projetée, son incontestable virtuosité sont de grandes promesses pour l'avenir. En définitive, un spectacle réjouissant qui nous permet de passer une excellente après-midi et d'oublier la froidure lorraine, et qui s'achève sur une non moins réjouissante image : le triomphe des femmes. |