LE SOIR Actualité culturelle, Jeudi 18 mars 1999 (page 10) OPÉRA. Reprise de "Pelléas et Mélisande" à la Monnaie C'est une impression étrange que laissait mardi soir la reprise de la production de Herbert Wernicke du "Pelléas et Mélisande" de Debussy à la Monnaie. Remontée par Wendeling Lang, sa mise en scène impose un insupportable climat d'attente durant toute la première partie qui frise le lymphatisme. Cette incertitude prépare en fait une plongée dans le dramatisme violent de la deuxième partie avant d'atteindre, avec la mort de Mélisande, le temps de la confession. Seul témoin de cette trilogie dans le spectacle, un Arkel errant qui allierait la sagesse distante de Guernemanz et la douleur pesante d'Amfortas, personnages du "Parsifal" de Wagner, et auquel la prestance de Donald McIntyre donne une intensité troublante qui gagne en stature au fil de la représentation. A ce titre, le découpage de la soirée en trois parties séparées par un long entracte et un "précipité" relève d'une logique implacable bien typique du travail de Wernicke. Comme souvent, elle est sublimée par la beauté obsédante du décor (un profond puits bleu tapissé d'insectes pour site unique) et de sublimes éclairages servis par Robert Brasseur. Le mélange du bleu soyeux et d'une gamme infinie de jaunes et de beiges apporte une dose d'esthétisme perfide à une atmosphère suffocante. Cette montée dans la tension, l'orchestre de George Benjamin la tisse au travers d'un orchestre d'une fluidité très continue qui distille des alliages de timbres saisissants, mais n'hésite pas à libérer la personnalité instrumentale de l'écriture. Incontestablement pétrie de références wagnériennes, cette vision orchestrale, partie d'une douceur perfide, déchaîne ensuite les passions dans un mélange de violence et de cruauté. Si elle devient parfois un peu envahissante au point de souvent couvrir les voix, elle sert habilement dans la continuité l'aspect de mélodie infinie de la partition . Côté voix, cette conception exigeait des timbres bien tranchés. Le Pelléas d'Anders Larsson impose un bel aigu tout en vaillance, soutenu par un grave solide. Véritable femme enfant, la Mélisande de Juanité Lascaro est plus touchante que mystérieuse face à la Geneviève très gouvernante germanique d'Anne Gjevang. Tous trois souffrent par contre d'une diction insuffisante qui rend leurs interventions trop absentes. Une partie de la magie féroce impliquée par le spectacle s'estompe alors face à un texte qui devient du brouet. C'est d'autant plus flagrant quand on les compare au docteur de Chris De Moor et à l'Yniold de Leo Van Cleynenbreugel. Et que dire de l'omniprésent Golaud de Van Dam! Imposant et dur, juste dans sa détermination comme dans son regret, il devient le pôle de référence comme si, dans ce monde d'irréalité, il incarnait le seul humain normal. Cette constatation est peut-être le reflet d'une diction sans faille toujours au service d'une expression dramatique engagée et servie par un timbre d'une chaleur somptueuse. C'est bien là le Golaud du siècle, et Bruxelles avait bien mérité de l'entendre. A lui seul, il donne une présence troublante à un huis clos tragique à qui il manquait une dose de lisibilité pour éclairer son mystère. Fidèle à sa beauté distante, le spectacle prend grâce à lui une dimension nouvelle. SERGE MARTIN Représentations les 19, 23, 26 et 30 mars, à 20 heures; les 21 et 28 mars, à 15heures. Location: 02-229.12.11. |