LE SOIR - Actualité culturelle. Lundi 14 décembre 1998 (page 8)

"Le Turc en Italie":
tourbillons et délires en cascade

C'est avec un immense plaisir que l'on revoit, comme spectacle de fin d'année à la Monnaie, la reprise de la production du "Turc en Italie", de Rossini, créée sur la scène bruxelloise en décembre 1995. La mise en scène de Karl-Ernst et Ursel Herrmann n'a pas pris une ride: on a même souvent l'impression qu'elle a gagné en naturel et en vivacité. Dans toute la démesure de son approche volontiers délirante, ce travail scénique sait exactement jusqu'où il peut aller trop loin, ce qui est somme toute l'essence de la réussite de tout bon spectacle comique. On a donc vécu dans une fraîcheur renouvelée les aventures de ce poète qui, non content de s'inspirer de la réalité de ceux qui l'entourent, n'hésite pas une seconde à intervenir directement dans leurs destins.

Et l'on a à nouveau ri sans réserve à l'extraordinaire numéro d'acteur de Dale Duesing, homme à tout faire surmené de cette mise en scène qui ne lui laisse pas une seconde de répit. Certes, la voix n'a plus tout à fait la qualité sonore qu'on lui connaissait, mais Duesing fait montre d'un tel talent d'acteur-chanteur qu'on lui passe volontiers quelques écarts. Dans le rôle de Fiorilla, qu'elle partage avec Juanita Lascarro dans la moitié des représentations, Tiziana Fabbricini brûle à nouveau les planches. Avec un tempérament digne d'une Callas (dont elle partage d'ailleurs les qualités aussi bien que les défauts), elle affiche du début à la fin une énergie absolument irrésistible.

Retrouvant avec plaisir sur la scène de la Monnaie des artistes tels que Ursula Hesse (splendide Zaida) et Barry Banks (délectable Narciso), on a pu également y découvrir quelques voix nouvelles. Originaire de Lettonie, Egils Silins séduit par un timbre de basse chaudement coloré. Il est peut-être parfois un rien raide sur scène, mais son incarnation musicale de Selim est des plus convaincantes (il partage le rôle avec la basse française Nicolas Cavallier, dont on est en droit d'attendre beaucoup dans un tel environnement). Giovanni Furlanetto nous offre, outre son timbre de basse épicé et superbement maîtrisé, une interprétation du personnage de Geronio tout en verve débridée, réalisant un magnifique exploit dans cette prise de rôle.

Disons enfin le ravissement apporté par la direction musicale de Philippe Jordan, ce jeune chef (25 ans à peine!) qui s'affirme de plus en plus comme l'un des plus doués de sa génération. La tenue d'ensemble est irréprochable, assurant une parfaite connivence entre le plateau (insistons sur les magnifiques interventions des choeurs) et la fosse. L'orchestre de la Monnaie, en toute grande forme, pétille de rythmes et de couleurs, nous offrant quelques interventions solistes éblouissantes (accordons une mention toute particulière aux solos absolument décoiffants des pupitres de vents, avec une flûte et un cor à donner le frisson!).

MICHEL DEBROCQ

"Il Turco in Italia", théâtre royal de la Monnaie, jusqu'au 31 décembre; Tél.: 02-229.12.00.