La Libre Beligique
11/04/2006

ÉPINGLÉ
Parsifal à Manhattan

Concurrence oblige? Outre l'excellence musicale, les Festtage jouent aussi volontiers la carte des grands noms pour attirer le public, quand bien même leur apport serait minime, comme avec les architectes Herzog et de Meuron pour les décors de "Tristan". Voire lorsque leur présence ne convainc pas pleinement, comme avec les débuts en tant que metteur en scène d'opéra de Bernd Eichinger l'an dernier pour un "Parsifal" repris cette année.

Occasionnellement acteur et réalisateur de cinéma, Eichinger est surtout connu comme scénariste et producteur (de "Moi, Christiane F." à "La chute"). Il fait d'ailleurs un usage abondant de la vidéo (images de feu ou d'eau, chute dans un tunnel sans fin) comme élément de décor pour une mise en scène qui fonctionne pendant les deux premiers actes avant de s'effondrer au troisième. Comme d'autres avant lui, il tente de restituer à l'ultime opus wagnérien sa dimension universelle -prélude joué sur fond d'images de la terre vue de l'espace, références aux civilisations et aux arts primitifs- et intemporelle: le Graal est célébré devant un temple grec au premier acte, mais c'est à Manhattan, guerre des gangs à l'appui, que se fait le final. Un travail qui renouvelle parfois l'imagerie sans convaincre vraiment, avec quelques moments forts et d'autres involontairement comiques. Direction à nouveau splendide de Barenboïm, et distribution issue de la troupe locale qui ferait rêver tous les autres opéras de la planète: Burkhard Fritz dans le rôle titre, Hanno Müller-Brachman en Amfortas, Michaela Schuster en Kundry et René Pape -encore-, Gurnemanz idéal.

A voir encore le 14 avril. L'an prochain, les Festtage proposeront une intégrale Mahler (symphonies et cycles chantés) partagée par Daniel Barenboïm et Pierre Boulez. (N.B.)

© La Libre Belgique 2006

 

altamusica
04 juillet 2007

CRITIQUES DE CONCERTS
Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Bernd Eichinger et sous la direction de Daniel Barenboim, dans le cadre des Festtage 2006 de l'Opéra de Berlin.
Fête sonore pour le Graal

Les Festtage berlinoises, inaugurées en 1996, sont traditionnellement consacrées aux opéras de Wagner. Ces dix dernières années, le cycle wagnérien était assuré par le tandem Barenboim-Kupfer. Aujourd’hui, le chef d’orchestre s’adjoint le concours d’autres metteurs en scène, comme dans ce Parsifal qu’on retiendra avant tout pour sa partie musicale.

Staatsoper, Berlin
Le 14/04/2006
Hermann GRAMPP

Après l’omniprésence des mises en scène wagnériennes de Harry Kupfer, les Festtage 2005 de la Staatsoper de Berlin innovaient en confiant pour la première fois Parsifal à un autre régisseur. Le réalisateur Bernd Eichinger, connu pour ses comédies légères, puis, plus récemment pour son film sérieux la Chute, s’essayait alors pour la première fois à la mise en scène d’opéra.

La presse allemande avait alors unanimement sanctionné cette tentative de rétablir une esthétique conventionnelle, dont le plus grand tort était son absence de véritable direction d’acteurs. Pour cette reprise, le constat nous apparaît moins dramatique. Certes, les décors sont assez classiques et se démarquent en cela du Regietheater, mais on peut très bien y voir un atout : un ensemble de troncs d’arbre énormes symbolise la forêt du Graal au I ; les costumes suivent la tendance intemporelle : Klingsor en rouge méphistophélique, Kundry en noir pécheresse. Métaphore simple, mais qui a le mérite d’être claire.

Néanmoins, le concept manque parfois de cohérence. Les chevaliers du Graal, ensemble de guerriers égyptiens au I, deviennent au III un street gang post-nucléaire vêtu de cuir et prêt à trucider Amfortas avec force bâtons, chaînes et couteaux. Mais cette faute de goût mis à part, la conception d’Eichinger ne perturbe pas la concentration outre mesure, et ne gâche jamais la splendeur musicale de la production.

Car pour cette reprise, les forces musicales apparaissent conformes à ce qu’on peut attendre des meilleures salles lyriques, avec au premier chef un plateau exceptionnel. Burkhard Fritz – membre de la troupe de la Staatsoper depuis 2004 – est un Parsifal jeune, au timbre héroïque reposant sur une assise de véritable baryton, au beau lyrisme, à l’aigu rayonnant. Michaela Schuster, excellente comédienne, chante Kundry avec un timbre plein de chaleur et un volume intense, même si elle a parfois tendance à forcer ses moyens.

L’Amfortas de Hanno Müller-Brachmann, qui manque pourtant d’élégance dans les éclats douloureux du haut de la tessiture, est constamment expressif, avec ce ton grave et douloureux si typique du roi maudit. René Pape incarne enfin un exceptionnel Gurnemanz. L’instrument, sonore, de magnifique qualité, l’intelligence musicale, la capacité à faire vivre chaque mot du texte, à structurer le récit, font certainement de l’Allemand la plus grande basse wagnérienne de notre époque.

Barenboïm au sommet de son art

Restait un détail d’importance, la fosse. Daniel Barenboim est un wagnérien aux humeurs instables, chez qui des soirées splendides suivent des représentations molles et peu inspirées. Ce soir, il apparaît au plus haut de son art, et de surcroît servi à merveille par la Staatskapelle de Berlin. Le célèbre son allemand (le deutsche Klang), préservé dans les orchestres d’ex-Allemagne de l’est, avec des cordes et des bois chaleureux, une sonorité d’ensemble si harmonieuse, est d’une intensité dans la couleur très rare aujourd’hui.

Le chef argentin opte pour des tempi posés, lents – le prélude – avec lesquels font contraste de soudaines accélérations, parfois excessives, dans les passages dramatiques – au II particulièrement. Il réussit néanmois à rester toujours en phase avec le rythme naturel de la partition. La salle ne s’y trompe pas, qui lui réserve une ovation frénétique aux saluts. Les chœurs splendides d’Eberhard Friedrich achèvent de faire de ce Parsifal une véritable fête sonore, dans une mise en scène qui a finalement le mérite de ne pas trop déranger.